Militer pour la cause environnementale en Mauritanie, avec Maïmouna Mint Saleck
Des notes d'épisodes
Dans cet épisode, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Maïmouna Mint Saleck, militante écologiste et figure active de la société civile mauritanienne.
Journaliste, Présidente de l'ONG BiodiverCités et Directrice du village de la BiodiverCité de Nouakchott, elle œuvre depuis plus de 30 ans pour la protection de l’environnement en Mauritanie.
La Mauritanie, véritable laboratoire de la biodiversité, abrite une richesse naturelle exceptionnelle. Le pays se distingue par la rencontre unique de deux écosystèmes, le Sahara et le Sahel, et par ses eaux parmi les plus poissonneuses du monde. Depuis les années 1970, l’impact du changement climatique s'y fait fortement ressentir, notamment avec la grande sécheresse qui a ravagé les troupeaux et les cultures. Cette crise a poussé de nombreuses personnes à migrer vers les villes côtières, mal préparées à un afflux aussi massif.
C'est l’immense richesse naturelle et culturelle de son pays qui alimente l’engagement de Maïmouna Mint Saleck. Elle milite pour replacer l’écologie au centre de l'éducation, de l'action politique, mais aussi des gestes du quotidien.
Au cours de cet échange, Maïmouna partage avec nous ses réflexions sur le lien entre culture et environnement en Mauritanie. Elle évoque les nombreuses initiatives locales mises en place pour répondre aux défis du changement climatique, tout en mettant en lumière la résilience et la créativité de la population.
Plus d'infos sur l'ONG Biodivercités: https://biodivercites.co/
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L’Alliance Sahel est une plateforme de coordination de l’aide au développement au Sahel qui fédère l’action de 27 organisations et pays. Créée en 2017, son objectif est de mieux soutenir les initiatives de développement au Sahel, en apportant une réponse davantage coordonnée, conjointe, adaptée et efficace aux enjeux et priorités de développement des pays et des populations du Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad).
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Speaker A: Bienvenue dans Salam Sahel, le podcast de l'Alliance Sahel. Nous vous invitons à ouvrir le regard sur les questions de paix et de développement dans la région sahélienne. Avec nos invités, à chaque épisode, nous vous proposons un autre regard sur les questions de paix et de développement au Sahel et en Afrique de l'Ouest.
Maïmouna Min Salek est Mauritanienne et milite pour la protection de l'environnement. Elle est présidente de l'ONG Biodiversités et directrice du village de la Biodiversité de Nouakchott.
Bonjour Mme Salek.
Maïmouna Min Salek: Bonjour, Salaam Salem.
Speaker A: Est-ce que vous pourriez, en quelques mots, nous dire qui vous êtes ?
Maïmouna Min Salek: Alors, je suis une femme engagée dans la société civile mauritanienne. La Mauritanie, c'est un pays d'Afrique de l'Ouest, situé entre le Maroc et le Sénégal, qui traditionnellement était toujours qualifié de trait d'union entre le Maghreb et l'Afrique subsaharienne, ce qui est l'un des secrets de sa richesse culturelle. mais aussi au niveau naturel, la Mauritanie. C'est un point de rencontre entre deux écosystèmes différents, le Sahara et le Sahel. Une rencontre qui explique la qualité exceptionnelle de la biodiversité. On dit toujours que le désert, il n'y a rien, qu'il n'y a pas de biodiversité. On se trompe. C'est une biodiversité qu'on ne voit pas, mais qui est là, qui est extrêmement résiliente, extrêmement riche. Et pour vous donner une image, Les vents du désert du Sahara vont jusqu'aux forêts amazoniennes en leur apportant des nutriments. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les scientifiques qui le disent. Mais aussi, les eaux mauritaniennes, c'est un point de rencontre entre les courants marins du nord et ceux du sud, ce qui donne un phénomène extraordinaire qui s'appelle l'upwelling et qui est le secret de la richesse de la biodiversité, qui explique que la Mauritanie est l'une des côtes les plus poissonneuses au monde. On compte 1800 navires de pêche en permanence dans la zone économique exclusive de la Mauritanie, entre bateaux industriels, pêche côtière et pêche artisanale. pour nourrir plus de 150 pays en produits de pêche. Et aussi, c'est un lieu de rendez-vous à des centaines d'espèces, mammifères, oiseaux, de poissons, qui viennent se nourrir, se reproduire. Par exemple, on compte plus d'un million cinq cent mille oiseaux migrateurs qui quittent l'Europe, le Canada, l'Amérique du Nord, en période d'hiver très, très froide, pour venir au Banc d'Arguin, c'est un sanctuaire de la biodiversité, le plus grand en Afrique de l'Ouest, et ce qui fait que la Mauritanie est un laboratoire scientifique à ciel ouvert.
Speaker A: Madame Salek, qu'est-ce qui donne sens à votre engagement aujourd'hui ?
Maïmouna Min Salek: Alors, ce qui nourrit justement, c'est cette extraordinaire richesse naturelle que nous avons, et culturelle, que malheureusement les Mauritaniens ne connaissent pas. Et le monde aussi ne connaît pas. Mais les Mauritaniens, c'est ça qui me fait très très mal. Et je me bats depuis que je suis en Mauritanie. Je ne suis pas née là-bas, je n'ai pas grandit là-bas. Lorsque je vois la différence entre ce qu'on apprend à l'école dans un pays du Nord et ce qu'on apprend à l'école chez moi, je dis, nos enfants n'apprennent absolument rien. Ils sont en totale rupture avec leur milieu et leur environnement. Et c'est cette rupture-là qui a donné que nous sommes complètement à côté des choses essentielles de la vie. Et je me bats pour qu'on réintègre cette école de la vie, qu'on l'intègre à l'école d'aujourd'hui, et qu'on soit un peu plus conscients dans nos actions, qu'elles soient politiques, dans l'action de tous les jours, que l'écologie soit au cœur de tout cela.
Speaker A: Est-ce que vous pourriez nous parler des projets que vous pilotez, des organisations dans lesquelles vous êtes impliquée ?
Maïmouna Min Salek: J'ai travaillé depuis maintenant 30 ans dans des associations qui sont liées à la protection de l'environnement. Je commençais à travailler avec le CANPE, qui est le Club des Amis de la Nature Protection de l'Environnement. Ce sont eux qui ont vraiment fait ma formation. Et ensuite, j'ai dû créer l'ONG Biodiversités avec un C pour les cités, donc c'est l'éducation environnementale dans les cités, pour valoriser tout ce qu'il y a comme espaces naturels et culturels en Mauritanie. Et je travaille aussi avec des associations culturelles comme Taranim pour les arts populaires. Moi, ma communauté, c'est une communauté qu'on appelle les Haratin en Mauritanie. Je suis issue de deux communautés. Une communauté wolof, c'est ma mère. Mon grand-père est pêcheur, donc c'est mon lien avec la mer. C'est un lébou. Et de côté de papa, c'est une communauté de haratines qui sont très liées à la terre aussi et qui ont une identité culturelle. qui n'est pas encore reconnue, et c'est par la culture qu'ils sont en train de réclamer leur droit à cette identité. Et je travaille aussi avec SOS Esclaves sur les droits, les droits humains de cette communauté qui est en train d'essayer de vivre cette résilience après tout ce passé, toute cette histoire d'esclavage en Mauritanie.
Speaker A: Vous venez de nous parler de culture. Quel est le lien entre la culture et l'environnement en Mauritanie et comment ces deux dimensions s'entraident ?
Maïmouna Min Salek: Le lien entre l'environnement est cassé en Mauritanie. Donc on n'a pas conscience de la présence de l'environnement dans notre quotidien, dans ce que nous mangeons, dans ce que nous portons, dans ce que nous respirons, dans notre milieu et dans notre culture. Alors que l'environnement faisait partie de notre culture. Là, on est en totale rupture. Les problèmes que nous avons du point de vue mondial, c'est lié à l'industrialisation. C'est vraiment la culture de l'industrialisation qui est à fond, que nous voyons partout, qui impacte toute notre façon d'être et de vivre, de produire, de réfléchir, etc. Ce revirement culturel, je pense qu'on a besoin de nous retrouver, de retrouver notre culture, nos vraies cultures, qu'on appelle autochtones chez vous. C'est le savoir local. C'est vrai qu'on a besoin de sciences, mais aussi on a besoin de savoirs locaux. Et cette culture-là, de réapprendre et d'utiliser aussi la culture, le cinéma, d'utiliser la musique, le théâtre, l'art, pour aussi véhiculer les messages que nous avons envie de partager, je crois que c'est important et les jeunes ont capté ça. Et ils sont beaucoup plus sensibles aussi à toutes ces manifestations culturelles, par la culture et l'art, à nos messages.
Speaker A: Est-ce que vous avez des exemples concrets à nous partager ?
Maïmouna Min Salek: On travaille beaucoup avec les populations, avec les écoles aussi, avec les jeunes. Ce qu'on cherche c'est la mobilisation, c'est l'action. Lorsqu'on vient faire une séance de sensibilisation par exemple, on passe par le cinéma pour créer des émotions et ça marche très bien. Tout de suite, on sent l'appel. Et les jeunes, ils sont dans l'action. Qu'est-ce qu'on peut faire ? Qu'est-ce qu'on doit faire ? C'est quelque chose d'extraordinaire. Quand on le voit, on voit que lorsqu'on a projeté, par exemple, quelque chose sur l'intérêt des arbres, parce que c'est vraiment un vrai problème en Mauritanie. Culturellement, on coupe les arbres parce que les premières villes, en Nouakchott, pour stabiliser les dunes, ils ont planté des arbres, peut-être pas les bons, donc du prosopis, qui est un nid à moustiques. C'est devenu lié dans la mentalité: arbre, c'est moustique. Et donc, ils coupent les arbres dès qu'il y a un moustique qui les pique. Et quand on projette un film aux jeunes pour expliquer que les arbres, c'est pas que des nids à moustiques, mais au contraire, l'arbre, c'est la vie, mais on les voit, le lendemain, planter des arbres dans leurs écoles et prendre soin de leurs arbres et les défendre pour qu'ils ne soient pas coupés. Et quand je vois ça, c'est extraordinaire.
Speaker A: Quels sont les impacts du changement climatique en Mauritanie aujourd'hui ?
Maïmouna Min Salek: Moi, si je parle d'impact, c'est depuis les années 70 que la Mauritanie est impactée par les grandes sécheresses. Et ces grandes sécheresses ont bouleversé tout ce qui est politique, tout ce qui est géopolitique, tout ce qui est histoire, tout ce qui est culture, tout ce qui est comportement. La Mauritanie vivait du pastoralisme, donc de l'élevage et du pâturage. Et tout à coup, les grandes sécheresses ont décimé les troupeaux, les bêtes, et décimé les humains. Donc c'était la grande famine. Et il n'y avait plus rien dans les villes, les villages, les oasis. C'était catastrophique et donc tout le monde s'est rué vers les grandes villes côtières, qui n'étaient pas du tout adaptées pour accueillir autant de population. C'étaient des villes naissantes, qui avaient 10-15 ans de vie, qui venaient de naître, aucune infrastructure. Ce qui a fait que depuis cet exode rural, qu'on appelait exode rural, aujourd'hui c'est migration climatique, donc depuis ces mouvements-là, on vit dans l'urgence. Donc toutes les politiques de développement, tout ce qui est imprégné dans nos politiques, c'est travailler dans l'urgence. Et ça continue. Donc depuis les années 70, on vit dans cette mouvance. Les gens qui quittent les villes, les villages, qui quittent le pays, nous sommes 4 millions, complètement dispersés sur tout le territoire national, des nomades en fait. Ils n'ont aucune culture des villes. C'est une rupture totale avec leur mode de vie. Ils ne savent pas comment on vit en ville et les villes ne sont pas prêtes pour les accueillir. Donc on est toujours dans cette précarité, dans cette gestion de l'urgence et c'est devenu une habitude.
Speaker A: Est-ce que vous pourriez nous partager des exemples d'activités qui sont mises en place par les populations mauritaniennes justement pour s'adapter à cette problématique du changement climatique ? Qu'est-ce que vous avez pu constater ? Qu'est-ce qui vous inspire ? Et qu'est-ce que le monde gagnerait à apprendre des pratiques des populations mauritaniennes ?
Maïmouna Min Salek: Alors, ce qui est extraordinaire, c'est qu'on a des populations qui s'adaptent très vite, qui sont résilientes. Il y a énormément de petites initiatives, ce qui donne espoir. Donc j'ai envie de partager deux exemples qui sont très forts, à mon sens. C'est l'exemple d'un partenariat entre un scientifique, un opérateur privé et les communautés. C'est un projet qu'on appelle chez nous Tooga, qui a donné naissance à une start-up. C'est un chercheur qui a découvert l'utilité du dattier du désert - c'est une plante qui pousse partout, dans tout le Sahel - dont le fruit peut servir d'aliment de bétail, d'aliment humain et cosmétique. Donc à l'intérieur de ce fruit, il y a une huile qui est comme l'argan. Ce cœur, il la travaillé à le rendre exploitable. Et grâce au financement de l'opérateur privé, qui a organisé des filières de femmes pour qu'elles puissent collecter cette huile au cœur pour en faire des produits extraordinaires, des savons, des huiles, etc. C'est une expérience réussie qui a créé de la richesse au niveau des populations de femmes très vulnérables, qui a créé de la richesse au niveau du sol. Les terres ont été régénérées parce qu'elles ont compris qu'il fallait aussi aider la nature, donc elles ont planté plus de dattiers du désert. Et voilà, donc tout le monde se retrouve dans ce partenariat. Et l'autre partenariat, l'autre exemple que je voulais donner, c'est un exemple de gouvernance, c'est la gestion intégrée des ressources naturelles. C'est un projet qui est porté par la GIZ et qui donne aujourd'hui ses fruits. J'étais vraiment impressionnée par cet exemple de partenariat entre l'État, les gouvernants locaux et les communautés. Donc avec un transfert de compétences, un transfert de ressources, on a responsabilisé les communautés pour gérer elles-mêmes, contrôler l'accès à ces ressources-là qui sont source de conflits pendant les grandes sécheresses à cause des transhumances. Donc il y a le bétail qui vient boire l'eau auprès des agriculteurs et qui impactent leur champ de culture. Il y a une pression sur la ressource, il y a une pression sur l'eau, et il y a aussi toute l'industrie de charbon, de bois, qui vient couper les forêts. Et donc grâce à cette gouvernance partagée, à ce modèle-là, des associations de gestion locale communautaire - c'est comme ça qu'on les appelle, les AGLC - les communautés ont pris en charge la gestion de leur territoire. Ca a créé de l'emploi, ça a créé une régénération des forêts, ça a prévenu les conflits autour des points d'eau pendant les zones de transhumance, ça a tracé des chemins justement pour les animaux, il y a eu moins d'incendies, donc vraiment la zone a connu une régénération de vie et de terre. Donc ça c'est un exemple extraordinaire dans une région qu'on appelait le cercle de la pauvreté, maintenant c'est le cercle de l'espoir.
Speaker A: Quels sont les conseils que vous donneriez à la communauté des partenaires au développement pour que leur coopération soit plus efficace et qu'ils accompagnent mieux les communautés locales ?
Maïmouna Min Salek: Déjà voir ce qui marche, ce qui fonctionne et dupliquer ce qui fonctionne. soutenir ce qui fonctionne, il ne faut surtout pas abandonner. Écoutez les populations, écoutez, il faut communiquer avec les populations, il faut s'asseoir autour d'une table et que chacun dise voilà ce que je peux faire, voilà ce que je peux apporter et ne pas chacun s'asseoir dans son coin et dire voilà ça c'est pour la société civile, voilà le rôle qu'elle doit jouer, voilà le rôle que doit jouer l'État. Non, il faut que nous-mêmes, on s'assoie et on dise: voilà ce que nous on peut faire, ce qu'on voudrait faire. On doit se répartir tout ce travail-là et travailler en coordination, en harmonie.
Speaker A: Quels sont les projets à venir de votre ONG et qu'est-ce qui vous fait vibrer pour le moment en termes de projets futurs et de perspectives ?
Maïmouna Min Salek: Alors le projet qui est en bonne voie, c'est de végétaliser les établissements scolaires. Alors les écoles publiques en Mauritanie sont des infrastructures qui n'ont vraiment pas pris en compte les changements climatiques. Ce réchauffement qui va de plus en plus être intense en termes de durée, en termes d'élévation de chaleur, etc. Et donc nos écoles ne sont pas du tout adaptées à ce changement. L'idée, c'est de les végétaliser au maximum, donc planter au maximum d'arbres, pour créer un micro-climat pour que les enfants puissent apprendre et rester à l'école. Je vois que si on ne fait pas cette action-là, les enfants abandonneront l'école parce que ce sera insupportable. Ils ne pourront rien apprendre avec la chaleur. Ce sont des classes surchargées, donc il y a beaucoup d'enfants dans des classes pas aérées ou classes en béton. Et il n'y a pas de climatiseur, évidemment, pas de ventilateur. C'est le challenge, il faut créer un endroit capable d'assurer un minimum de confort, de santé à nos enfants à l'école pour leur donner envie d'apprendre parce que c'est l'éducation, c'est ça la clé pour réussir.
Speaker A: Merci pour votre écoute. Si vous avez aimé cet épisode, n'hésitez pas à le partager autour de vous. Et si vous souhaitez suivre l'actualité de l'Alliance Sahel, rejoignez-nous sur alliance-sahel.org.
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